FERMETURE DEFINITIVE
à partir du 5 septembre 2020, 36 ans après son ouverture le 5 septembre 1984.
Pourquoi nous n'ouvrirons pas le 8 juin
La phase la plus grave de la pandémie s’achève avec bonheur pour la Suisse. Arrêté dans sa course folle par le semi-confinement, la fermeture des commerces, et les progrès de la médecine dans le traitement des malades, le virus se fait tout petit, à la satisfaction générale. L’économie va reprendre progressivement son rythme normal et l’on peut considérer comme probable que la crise financière s’estompera peu à peu.
Cependant, le coronavirus court encore. Je lis, bien sûr sans pouvoir le vérifier, que seuls 10% des suisses sont immunisés pour avoir été touchés. Cela signifie que la possibilité d’une seconde vague, voire de vagues successives est tout à fait plausible, même si elles seront moins fortes que la première. Ces vagues profiteront de la promiscuité des gens qui, en groupes petits ou grands, parleront, chanteront, se toucheront, se caresseront ou s’embrasseront, parfois sans se connaître comme c’est le cas dans les matchs de football où l’on crie et chante en groupe à l’envi. Dans la plupart des cas, le risque sera jugulé par le respect des règles de distanciation sociale, le port du masque, le lavage attentif et la désinfection des mains.
La distanciation sociale, le port du masque, le traçage sont aux antipodes de l’ADN d’un sauna gay. Celui-ci remplit un rôle utile de sociabilité pour des gays confrontés à la solitude dans une société où l’homophobie, en dépit des efforts des autorités et de toutes sortes d’associations, est en nette augmentation, comme dans toute l’Europe. Mais il n’y a pas que la sociabilité au sens large. Il y a la réalisation du désir de séduire, de draguer, d’avoir une vie sexuelle. L’ambiance générale d’un sauna gay, la quasi-nudité des corps, favorisent les attouchements et les rapports sexuels dans les espaces assimilés à la sphère privée – bain de vapeur, cabines de repos, ou, dans certains saunas gays des espaces ludiques, tels des labyrinthes obscurs, des salles d’instrumentation sadomasochiste, etc.
Il va sans dire que l’ambiance du sauna est exactement la même lors des soirées couples hétérosexuels, organisées une ou deux fois par mois dans plusieurs établissements.
Cela n’est ni bien, ni mal. C’est ainsi. On a lu récemment que chaque jour, quelque 750.000 suisses font un tour sur les sites de rencontres, dans une recherche d’amour ou de plaisir. Personne ne saurait de bonne foi reprocher aux gays ou aux échangistes d’avoir eux aussi un besoin d’amour ou de plaisir, et de s’organiser en conséquence.
Depuis sa création en 1984, le sauna Topclub a suivi une ligne stricte : qualité et discrétion de l’accueil, qualité des installations, propreté et confort des espaces de convivialité et des installations de bain. Respectant une éthique qui est la sienne, il a privilégié les espaces de repos, de discussion (salons divers) tout en respectant totalement la vie privée de chacun, en offrant des espaces d’intimité. La drogue, la prostitution, la provocation ont été exclues. Et cela va sans dire, tout traçage a été banni. Le Topclub n’a jamais tenu de fichier de clients. Beaucoup de nos abonnés l’étaient sous pseudonyme. Si quelques jeunes parvenaient au cours des années à s’afficher clairement comme gays, des nombreuses personnes nées plus tôt vivent leur vie affective et sexuelle incognito, encore de nos jours, ce que n’importe qui peut comprendre.
Dans un simple salon de massage, il n’y a de rapport qu’entre deux personnes, comme c’est généralement le cas dans un rapport de prostitution. Dans un sauna gay, on est en contact, ne serait-ce que par la discussion au bar, avec des inconnus, parfois venus de l’étranger. Des clients ont des rapports intimes dans des cabines de repos ou au fond du bain de vapeur, pour se quitter ensuite sans jamais se revoir, alors que d’autres créent des amitiés durables. Même limité à 30 personnes, un sauna gay nous paraît en puissance un foyer favorable en cas d’épidémie. Beaucoup de clients rechignent à donner leur identité et adresses quand ils se rendent dans un sauna gay. C’est compréhensible. La majorité d’entre eux paie son entrée en liquide, soucieux de ne pas laisser de trace de leur passage. Comment dès lors imaginer un traçage sérieux ?
Je n’ai pas eu vent que les autorités auraient consacré une réflexion spécifique sur la situation des saunas gays, les conséquences de leur fermeture et les conditions de leur réouverture. C’est vite expliqué : les saunas gays ont une existence administrative impeccable, et jouissent des autorisations diverses nécessaires à leur exploitation. Mais hélas, ils n’existent pas dans le discours officiel. Ils sont toujours inclus dans des nébuleuses vagues sans rapport avec leur activité : « Lieux de divertissement », « prostitution », « loisirs », « vie nocturne ».
Abandonnés à ces définitions vagues, les saunas gays doivent prendre en charge eux-mêmes l’interprétation des décrets de réouverture, après plusieurs mois d’inactivité. Ils doivent assumer la responsabilité du développement éventuel de l’épidémie dans le cadre de la « seconde vague », et des plaintes justifiées qui en découleraient. Quelques associations, dont les membres sont juges et partie, sont désignés pour créer un « concept » et en surveiller la bonne réalisation. C’est une blague. Beaucoup n’ont qu’une hâte, rouvrir le plus vite possible, quitte à singer la distanciation sociale et à afficher des grandes annonces dans leur réception concernant la désinfection et la distanciation sociale. Une fois le client entré, comment vérifier ce qu’il fait dans un bain de vapeur, ou un bain de remous, ou dans un sauna sec ou un peu partout dans les recoins de l’établissement ?
Bien sûr, des établissements qui d’un jour à l’autre ont été privés de revenus, alors que les charges continuent à courir, sont menacés de disparaître.
Il est évident à mes yeux que la réouverture est prématurée au stade actuel de la pandémie, qui invite certes à l’optimisme, mais ne saurait exclure la prudence.
Le philosophe Michel Serres, dans un interview, disait que tout ce qui peut favoriser les rencontres entre les individus devrait être subventionné par l’Etat. C’est vrai que la disparition des petits commerces, des petits cafés, des « lieux de divertissement » va produire un important déficit social, qui sera dommageable pour la communauté toute entière.
En attendant, nous n’acceptons pas la responsabilité de faire courir le moindre risque à nos clients, et, par extension, à la société. Nous n’ouvrirons donc pas le 8 juin. D’ici la fin de juillet, nous informerons nos clients, au vu de l’évolution de la pandémie et des décisions des autorités, si celles-ci viennent à conclure que les saunas gays pourront désormais fonctionner sans restriction.
En attendant, je remercie du fond du cœur tous ceux de nos amis et clients qui régulièrement cliquent sur « J’aime » dans notre page Facebook, signe qu’ils ne nous oublient pas.
Richard Garzarolli
Président de Dag-Fit SA Sauna Topclub.